Yangon doit être la ville au monde avec le plus grand nombre de taxis par habitant.
Quand il me prend l'idée de faire un rapide sondage en comptant la proportion de taxis dans le trafic, j'arrive en général à plus de 50% de taxis... Le pourcentage restant se partage entre bus et camionnettes de transport public, voitures particulières et véhicules utilitaires.
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La pagode Sule, qui fait office de rond-point, entourée
par le ballet des taxis |
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Si je ne me trompe pas, 5 taxis, 3 voitures particulières, 1 bus |
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3 sur 3 ici... |
La configuration et la topographie de la ville font que la plupart des lignes de bus que j'ai identifiées jusqu'à présent roulent sur un axe Nord-Sud en desservant les deux principales artères que constituent Pyay Road et Kaba Aye Pagoda Road. Mes déplacements impliquant surtout des mouvements Est-Ouest, c'est en taxi que j'effectue une grande partie de mes trajets motorisés en ville.
Cette situation a l'avantage de me permettre de faire le plein d'anecdotes dont en voici quelques unes...
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Ce petit garçon se faufile entre les voitures pour
vendre des guirlandes de fleurs |
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Remarquez le volant à droite, alors que l'on roule à droite
en Birmanie... J'en parlerai dans un prochain billet |
Un type de chauffeur de taxi que j'ai eu le privilège de croiser plusieurs fois est celui qui, tout content d'avoir embarqué un occidental, tient à me soigner aux petits oignons et à rendre mon trajet le plus agréable possible. Ce qui se traduit immanquablement par un changement de programme radio... Tandis qu'en général, les chauffeurs équipés d'un matériel audio écoutent une radio birmane, ce type de chauffeur là s'empresse de sortir une cassette de derrière les fagots pour me faire profiter du meilleur de la musique occidentale. J'ai ainsi récemment subi 'Barbie Girl' du groupe scandinave Aqua (voir
http://www.youtube.com/watch?v=ZyhrYis509A) avec le volume poussé au maximum. La durée du trajet m'a permis de profiter des paroles profondes de cette chanson pendant environ 15 minutes... Les taxis roulant généralement toutes fenêtres ouvertes, les passants auront pu profiter (presque) autant que moi de cette intense extase musicale.
Plusieurs fois, mes trajets en taxi ont été l'occasion de pratiquer mes rudiments de la langue locale. Outre la rapide négociation du prix de la course que je fais maintenant en birman (et j'ai remarqué que quelques mots baragouinés en birman dès la prise de contact ont l'effet immédiat de faire diminuer de manière significative le prix de départ ...), mes déplacements sont en effet parfois l'occasion de tenir une conversation simple avec le chauffeur si celui-ci se montre patient et bienveillant.... J'ai ainsi pu, il y a peu, comprendre qu'un de mes interlocuteurs était d'origine chinoise (coup de chance, j'avais justement appris les adjectifs de nationalité au cours de birman de la veille !) et qu'il avait huit enfants (!!).
Comme le 'belge' n'est pas une langue, il n'y a pas vraiment d'adjectif pour cette nationalité dans la langue birmane. Il faut alors avoir recours à l'anglais et introduire le mot 'Belgian' dans la phrase. En général, cela n'aide pas vraiment les Birmans alors j'ai pris le parti de dire à mon sympathique chauffeur que j'étais français. La première fois où le mot 'Belgian' a évoqué quelque chose à un de mes interlocuteurs birmans, c'était 'Jean-Claude Vandamme'... La deuxième fois, mon interlocuteur s'est mis à me parler de Rock metal et du groupe Sepultura... Ce n'est qu'en consultant Wikipédia ce soir-là que j'ai compris que mon bonhomme avait probablement confondu Belgique et Brésil, le groupe de rock Sepultura étant originaire de Belo Horizonte... J'ai depuis lors renoncé à essayer d'expliquer que je viens de Belgique...
Après m'avoir annoncé fièrement être le papa de 8 enfants, le chauffeur m'a demandé combien j'avais d'enfants. Il a semblé très embarrassé quand je lui ai répondu que je n'en avais pas et notre conversation s'est arrêtée là. Peut-être aurais-je pu soulager son malaise si j'avais su comment dire 'pas encore' en birman...
Je garde également un souvenir amusé d'un chauffeur qui, après avoir échangé quelques mots, me montre fièrement un ancien billet de banque à l'effigie du général Aung San sur lequel est indiqué 'Union of Burma' et non 'Union of Myanmar' comme c'est le cas actuellement. Cela indiquerait qu'il n'est pas trop d'accord avec le changement du nom officiel du pays et donc avec le gouvernement qui l'a décrété en 1989...
Un autre phénomène qui me permet parfois de faire des rencontres impromptues c'est que certains petits filous embarquent plus d'un client à la fois. Il m'est ainsi arrivé à plusieurs reprises de me rendre compte, après avoir expliqué ma destination et négocié le prix, que le taxi était déjà occupé et que nous allions donc faire un bout de chemin ensemble. Tant mieux s'il se trouve que nous allons tous les deux dans la même direction, pas de chance pour l'un de nous deux s'il s'avère que la combinaison des deux trajets impliquera un long détour pour celui qui n'est pas déposé en premier (et qui n'est pas d'office le premier à avoir embarqué...). Sympathique quand le co-passager du jour est charmant et que l'on n'est pas pressé, plus embêtant quand on a rendez-vous et qu'on n'est déjà pas à l'avance...
Les trajets en taxi me permettent parfois de constater la capacité d'endurance de certaines épaves. Si la plupart des taxis sont en bon état, et qu'une bonne proportion de ceux-ci sont même particulièrement neufs, il arrive qu'un tas de ferraille indescriptible se présente. A chaque nid de poule (et il y en a beaucoup) et à la moindre bosse sur la route, j'ai l'impression que nous allons y laisser le châssis ou le moteur, mais à chaque fois, nous sommes arrivés à bon port et la voiture est répartie vaillamment en pétaradant sa victoire.
Les chauffeurs ne sont à ce propos pas non plus toujours des plus engageants... Il faut avouer que le sourire édenté et rougi par de longues années de mastication du bétel ne fait rien pour arranger l'aspect déjà hirsute de certains d'entre eux. Et quel délice lorsqu'à chaque arrêt de la circulation, ce monsieur en profite pour ouvrir sa portière et se pencher vers l'extérieur pour émettre un long crachat rouge brique sur le bitume...
Le titre de cet article se réfère au fait que la plupart des taxis ne connaissent pas bien la ville... Je me demande d'ailleurs quels sont les critères pour être chauffeur de taxi à Yangon dans la mesure où la rumeur court (ce sont des Birmans qui me l'ont dit) qu'il ne faut même pas avoir son permis de conduire...
Comme on ne peut pas compter sur la connaissance limitée de la ville qu'a le chauffeur, il faut user de stratagèmes. J'ai essayé d'indiquer ma destination sur un plan de la ville, cela n'aide en général pas beaucoup. Un système qui fonctionne en général mieux est de se faire conduire vers un endroit connu (une pagode, un hôtel, un centre commercial) et une fois dans les environs, jouer les co-pilotes et guider le taxi jusqu'à bon port. Ce qui implique bien sûr que vous connaissiez les environs de l'endroit où vous souhaitez vous rendre... Je suis parfois assez frustré de ne pas pouvoir m'expliquer lorsque le chauffeur du taxi dans lequel je prends place s'entête à emprunter les grands axes routiers hyper congestionnés alors que je connais les raccourcis par les voies secondaires pour les avoir pratiquées grâce à des chauffeurs plus rusés.
Etant donné la situation de la circulation en ville ici (cela ne fait qu'empirer avec un nombre de voitures particulières qui augmente de manière exponentielle) et surtout vu le style de conduite des automobilistes de Yangon, je ne compte pas me lancer moi-même dans la mêlée et vais donc probablement continuer à vivre des aventures en taxi pendant ces prochaines années...
A force de héler régulièrement les taxis aux mêmes endroits et aux mêmes heures, je me demande si je vais un jour tomber sur un taxi que je connais déjà... Et si c'est le cas, si nous nous reconnaîtrons mutuellement...