J'ai parlé à plusieurs reprises des 'nats', ces esprits auxquels les Birmans vouent un culte fervent et dont les représentations vous accompagnent partout.
Un petit autel de nat rencontré récemment lors d'une balade à Yangon |
En Birmanie, le surnaturel et la superstition sont partout et c'est donc avec une excitation certaine que je me suis rendu au QG des nats, au Mont Olympe du panthéon birman: le haut lieu de pélerinage qu'est le Mont Popa.
Je me suis étonné au début de cette cohabitation entre le culte des nats et le bouddhisme, tellement partie intégrante de la vie quotidienne en Birmanie. Des autels dédiés aux nats sont par exemple présents dans les lieux de culte bouddhistes (voir les articles http://cedricenbirmanie.blogspot.com/2013/06/rencontre-avec-les-novices-au-monastere.html ou http://cedricenbirmanie.blogspot.com/2013/08/pagodes-gogo.html).
On doit ce syncrétisme à l'intelligence du roi Anawratha qui, lorsqu'il instaura le bouddhisme en 1044, permit rapidement l'intégration des nats, tellement ancré dans les moeurs de ses sujets, dans l'univers spirituel bouddhiste birman.
Mais qui sont ces nats ?
Il existe en réalité deux sortes de nats. Les nats 'supérieurs' sont bien identifiés et sont au nombre de trente-sept. Un peu à la manière des saints chrétiens, ils sont les esprits d'êtres humains (anciens rois, moines, etc.) qui ont eu une vie exemplaire et souvent, une mort tragique et brutale. Leur histoire est connue et le culte qui leur est voué est fonction des pouvoirs qu'on leur prête.
Il y a par exemple un nat protecteur des conducteurs (l'équivalent du Saint Christophe des catholiques ?). Par contre, c'est plutôt à Thuratathi que les étudiants feront des offrandes. Un autre, Mahagiri, gardien des maisons, est l'un des plus anciens et des plus vénérés. Il est souvent représenté à l'entrée des maisons birmanes par une grosse noix de coco recouverte d'un ruban rouge. Un autre encore se préoccupe particulièrement des musiciens (Sainte Cécile ?). Les nats portent souvent des noms assez poétiques (la dame aux flancs dorés, le benjamin de l'or inférieur, le seigneur du parasol blanc, la dame trois fois belle, etc.) et sont reconnaissables à leurs attributs et leurs vêtements.
Il y a des nats gentils, protecteurs, mais il y a aussi des nats méchants, tels que U Min Kyan, l'alcoolique ou encore le nat fumeur, pour qui on peut souvent acheter des cigarettes à l'entrée des pagodes.
Si le bouddhisme prend en charge les vies futures, les nats sont plus liés aux préoccupations de la vie quotidienne. Une mauvaise action peut ainsi être corrigée par des offrandes à Thag Yamin qui tient le livre des bonnes actions (un livre aux feuilles d'or) et le livre des mauvaises actions (un livre en peau de chien).
A côté de ces trente-sept nats bien définis et identifiés, on croit aussi aux nats 'inférieurs'. Ceux-là sont innombrables étant donné que la croyance est fondée sur le principe que tout être, vivant ou non, est animé d'un esprit. Arbres, sources, forêts, rochers, etc. sont donc habités par un nat qui peut se manifester.
Le Mont Popa, un volcan qui s'élève à environ 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer (après plusieurs mois dans la chaleur humide tropicale de Yangon, cela m'a fait tout drôle d'y ressentir la fraîcheur associée à l'altitude du lieu !) à une cinquantaine de kilomètres de Bagan, est bien sûr entouré de légendes qui expliquent sa naissance et ses pouvoirs.
Mais il est surtout connu comme le lieu de résidence de plusieurs nats qu'il convient de traiter avec respect, par exemple, en évitant d'y porter du rouge, du noir ou du vert (j'ai suivi ces préceptes religieusement) ou d'y emporter de la viande de porc (ça, c'était plus facile !) ...
Lieu de pélerinage important donc, c'est surtout vers Taung Kalat que se dirigent les pélerins. Cheminée volcanique s'élevant au pied du Mont Popa, le Taung Kalat est coiffé d'un monastère bouddhiste accessible par les 777 marches enserrant les flancs de cette colonne de lave solidifiée.
Arrivé en fin de journée au Mont Popa, je passe la nuit sur les flancs de celui-ci, profitant de la magnifique vue qu'offre l'hôtel sur le Taung Kalat.
C'est dans un bungalow de bois, entouré des bruits de la forêt que je m'endors ce soir-là.
Les nats avec qui j'ai rendez-vous demain sont-ils assoupis dans les alentours ou ne dorment-ils jamais ? Préparent-ils leur journée du lendemain ou leur vie est-elle faite d'improvisations ?
Seront-ils satisfaits des offrandes qu'on leur préparera demain et répondront-ils aux nombreuses prières qui leur seront adressées ?
(à suivre)