La nuit aura été particulièrement reposante dans cette chambre à l’odeur de bois et à la fraîcheur bienvenue.
C'est donc tôt le matin que j'emprunte le petit sentier aménagé au milieu de la forêt tropicale qui recouvre les flancs du Mont Popa pour me rendre au pied du Taung Kalat. La descente ne prend qu’une bonne demi-heure mais est freinée par l’attention de chaque instant que je dois porter aux toiles d’araignées qui barrent le chemin. Ces toiles pratiquement invisibles ne sont repérables que grâce aux araignées qui veillent en leur centre. Très vite je ramasse un bâton que je brandis en étendard devant moi pour m’assurer de ne pas me retrouver avec une de ces dames aux corps fuselé et aux longues jambes effilées au milieu du visage.
Le sentier débouche bientôt sur la route menant au village. Il est facile de se guider tant la cheminée volcanique est visible de partout ici. Une activité typique règne dans le village qui s’agglutine au pied du Taung Kalat : échoppes de fruits, gargotes, marchands ambulants, ‘tea shops’ où les hommes prennent leur petit-déjeuner, magasins proposant toutes sortes d’articles destinés à être déposés en offrande, etc. etc.
J’arrive bientôt à la base de la protubérance volcanique où est située l’école du village. C’est alors que j’aperçois, courant sur les faîtes des bâtiments, non pas des garnements, eux sont bien sagement dans la cour de récréation, mais d’agiles petits singes. On m’avait parlé des macaques qui vivaient à Mount Popa mais je pensais qu’il faudrait un œil averti et une longue planque pour espérer apercevoir furtivement une ombre se déplacer dans les feuillages. Les quelques primates batifolant sur le toit de l’école n’étaient en fait que les premiers d’une longue série de représentants de ce petit peuple ici chez lui sur ce promontoire rocheux.
Une cour de récréation bien encombrée... |
Cherchez l'intrus ! |
Ma première visite est pour la galerie des nats. Comme je l’ai expliqué dans un billet précédent (voir http://cedricenbirmanie.blogspot.com/2013/09/visite-au-mont-popa-la-demeure-des-nats.html ) , Mount Popa est considéré comme le lieu de résidence de nombreux nats et, bien que le bouddhisme ait supplanté le culte des nats, c’est surtout en tant que lieu de pèlerinage dédié aux nats que Mount Popa est révéré.
L’un des nats les plus honorés ici est Mae Wunna, dont le nom birman complet signifie "l’ogresse mangeuse de fleurs" (le nom ‘popa’ viendrait du mot sanskrit signifiant fleur). Mae Wunna vivait au Mont Popa et tomba un jour amoureuse de Byatta qui travaillait au service du roi Anawratha (celui-là même qui introduisit le bouddhisme en Birmanie). Byatta, sorte de super-héros aux pouvoirs extraordinaires, avait pour mission de cueillir des plantes et des fleurs pour le roi. Il faisait donc chaque jour l’aller-retour entre Bagan et le Mont Popa (distants d’une cinquantaine de kilomètres). Amoureux de Mae Wunna lui aussi, ses excursions prenaient de plus en plus de temps… Parfois, il lui arrivait même d’oublier de rentrer au palais. De la liaison de Mae Wunna et Byatta naquirent deux fils.
Le roi, qui désapprouvait la relation de son serviteur le fit exécuter et fit emmener ses deux fils à son palais. Mae Wunna en mourut de chagrin et devint, tout comme Byatta, un nat. Les deux fils grandirent et devinrent, à l’instar de leur père, des héros au service du roi. Ils périrent eux-aussi suite à leur désobéissance causée par leurs espiègleries et facéties d’adolescents turbulents. Eux aussi devinrent de puissants nats aujourd’hui vénérés.
Mae Wunna entourée de ses deux fils |
Des offrandes leur sont faites |
Les histoires de nats abondent, souvent violentes, parfois assez sordides, mais de temps en temps aussi mignonnes et paisibles. Ainsi, le nat qui porte le nom de ‘la petite dame à la flute’ est la gardienne et la compagne de jeux des enfants. A ce titre, c’est elle qui fait sourire les bébés et les enfants dans leur sommeil…
Après avoir présenté mes hommages aux nats, j’entreprends l’ascension de la colonne volcanique, empruntant pour ce faire les 777 marches qui conduisent au sommet.
Partout, des singes batifolent autour des pèlerins et sautent d’un toit à l’autre, d’une marche à l’autre en frôlant parfois les visiteurs. Fâcheusement, les primates ne sont pas éduqués et leurs déjections jonchent les escaliers foulés par les nombreux pieds déchaussés (endroit religieux oblige) …
Heureusement, toute une troupe de sentinelles veillent au grain et nettoient sans arrêt (pourboires acceptés de bon cœur) les marches crottées.
Leur tâche ne s’arrête toutefois pas là. Ils sont en effet investis de la protection des visiteurs en s’assurant que les singes ne deviennent pas trop remuants ou tapageurs. C’est ainsi que j’assiste à plusieurs reprises à la véritable débandade d’un petit groupe de ces primates devenus trop agités qui, à la seule apparition de l’arme secrète que porte chacun des nettoyeurs, déguerpissent sans demander leur reste.
Un lance-pierre gardé à portée de main a en effet un impact immédiat sur la petite ménagerie qui disparaît dès le surgissement de l’engin qui doit avoir plus d’une fois infligé de cuisants souvenirs aux fesses des macaques trop téméraires…
J’ai tout de même vu un singe s’emparer du châle d’une dame qui, ne se laissant pas démonter, alla le rechercher en détournant l’attention du petit chenapan grâce à des friandises… Cela n’était-il pas l’objectif du singe dès le départ ?
L’ascension du Taung Kalat est moins difficile qu’elle n’en a l’air vue d’en bas. Les volées d’escaliers sont entrecoupées de nombreux petits temples et autres lieux de recueillement qui incitent à la flânerie et le petit plus apporté par les facéties des singes font vite oublier le dénivelé parcouru. La vue sur la plaine adjacente n’est pas négligeable non plus.
Scène de famille |
Les escaliers abrités par un toit en tôle |
Lui non plus n'est pas insensible au paysage |
A mon retour en bas de la colonne, je retrouve les singes de l’école tandis que les enfants sortent de classe sans même leur jeter un regard. Imaginez l’effet qu’aurait eu une clique de singes sur les murs de votre école quand vous aviez huit ans ! ;-)
Alors que je remonte la rue, j’entends des cris derrière moi. Une femme qui venait d’acheter des fruits s’est fait chaparder son sac en plastique, prestement emporté par un singe. Le butin est rapidement partagé avec le reste du gang sous les rires des passants et de la malheureuse qui doivent pourtant avoir assisté à ce genre de scène des dizaines de fois…
Les gredins, fiers du méfait accompli, leur butin vite englouti. |
Mais il en faut plus pour le démonter celui-là... |