mardi 10 septembre 2013

Les sept filles de Madame Yar Pyi

 
Bagan est un endroit touristique, les guides en tout genre ne s'y sont pas trompés et lui accordent une place de choix dans leurs publications.
 
Outre les informations culturelles d'usage, les 'Guides du Routard', 'Lonely Planet' et autres font bien sûr un relevé des hôtels et restaurants qu'ont testés leurs collaborateurs. Le grégarisme du touriste lambda étant ce qu'il est, il n'est pas rare, quel que soit le pays que vous visitez, de voir dans un restaurant un exemplaire du 'Lonely Planet' (probablement le plus diffusé à l'échelle mondiale) sur le coin de chaque table du petit resto "tellement typique et fréquenté par les locaux" dont le guide vante les mérites... 
 
Je ne vais pas jeter la pierre à ces touristes, moi aussi je me laisse parfois convaincre par les arguments des guides et la facilité que leurs conseils procurent...
 
Mais cette fois-ci, il en a été autrement pour moi et cela m'a permis de faire une de ces rencontres dont je suis tellement friand...
 
Le restaurant 'star' des guides touristiques occidentaux semble ici être le restaurant végétarien 'Moon' dont le slogan "Be kind to animals" ('Soyez bons envers les animaux') a dû en faire craquer plus d'un.
 
  


Ce restaurant est manifestement repris dans tous les guides; ses tenanciers le savent bien et en jouent.



 Cette exploitation me rebutant un peu, je passe mon chemin pour trouver, pratiquement en face de cette adresse, une autre affiche qui m'attire beaucoup plus... Celle-ci insiste en effet sur le fait que les guides touristiques n'ont pas encore repéré l'établissement mais que ce sont les clients qui recommandent l'adresse via leurs témoignages dans le livre d'or. Et, argument choc, "la famille Yar Pyi dit qu'ils sont les plus délicieux !"






Madame Yar Pyi et son neveu

C'est donc là que je décide de prendre mon repas ce soir.

Madame Yar Pyi oeuvre en cuisine pendant que son neveu fait le service. La charmante cuisinière vient s'inquiéter de notre satisfaction entre chaque plat, l'occasion de taper un petit brin de papote et d'en apprendre un peu plus sur la cuisine birmane.

En entrée, je choisis le leq peq thouq (prononcé plus ou moins "lè pè to", le 'q' final symbolise le coup de glotte en fin de mot...), une salade très courante en Birmanie.  

Il s'agit d'une salade de feuilles de thé vert humidifiées et pressées (je ne sais pas si elles sont un peu fermentées ou non), mélangées à des graines de sésame, des petits pois et de l'ail frits, des crevettes séchées, des cacahuètes et du gingembre grillé. L'aspect n'est pas toujours très ragoûtant mais c'est très bon, j'aime particulièrement le côté croquant de cette salade.
Le tout est servi avec du thé vert brûlant.



Pour le plat principal, mon convive et moi partagerons nos currys... Difficile de dire lequel je préfère entre le curry de tomates aux arachides et le currry d'aubergines... Tous deux sont épicés juste ce qu'il faut et servis avec du riz parfumé à la noix de coco... Un délice.


Madame Yar Pyi vient nous présenter
les tomates qu'elle va utiliser dans son
curry... A ses côtés, la petite dernière.

Le repas terminé, Madame Yar Pyi vient nous faire la causette. Elle s'excuse d'abord de son anglais rudimentaire "Me no school, me English I learn with customers", qui est pourtant meilleur que celui de la plupart des Birmans rencontrés jusqu'à présent.

Comme souvent, les quelques phrases que j'arrive à aligner en birman la font s'extasier et elle s'emballe dans sa propre langue jusqu'à ce que je lui fasse comprendre que je n'en suis qu'à mes tout débuts et qu'il vaut mieux qu'elle me parle en anglais !

Notre conversation est des plus agréables et au bout de la soirée, c'est toute la famille que je connais un peu.

Madame Yar Pyi et son mari (qui est assis silencieusement dans son fauteuil dans un coin de la pièce mais qui ne rate rien de la conversation) ont huit enfants : sept filles et un garçon.

Les six ainées sont des filles, toutes doivent avoir une bonne vingtaine d'années, puis est enfin arrivé un garçon, qui a environ 8 ans et que je vois passer la tête par la porte de la cuisine de temps en temps. Enfin, la petite dernière, qui batifole dans le restaurant depuis tout à l'heure et a l'air très intéressée par ces deux étrangers qui discutent avec sa maman. Elle viendra même, à la demande de sa maman, nous présenter ses devoirs. Une complicité immédiate se crée alors entre nous, la petite en est en effet au même stade que moi de l'apprentissage de l'écriture birmane, et je reconnais dans ses devoirs les caractères qu'elle recopie sur les lignes de son cahier, comme je le fais en ce moment après chaque leçon de birman... J'aurai même droit à toute une chanson enfantine dont je ne comprendrai pas un traître mot.

Madame Yar Pyi est très fière de ses enfants, qui ont pour la plupart fait des études et ont maintenant des emplois prestigieux. L'une est institutrice, une autre est réceptionniste dans l'un des grands hôtels de Yangon, une troisième est étudiante en ingénierie informatique à Yangon, etc. etc. Madame Yar Pyi m'explique qu'elle a dû vendre sa maison pour pouvoir payer les études de ses enfants mais il est évident, lorsqu'elle me montre les photos de la famille affichées au fond du restaurant, qu'elle n'a jamais regretté ce sacrifice.



Pendant que madame me détaille chaque photo, monsieur est en train de préparer un grand sac avec toutes les bonnes choses qu'il va apporter à ses filles à Yangon demain. Il prendra en effet le bus pour Yangon (compter environ 14 heures de voyage) pour leur apporter ce qui me paraît une tonne de bocaux remplis de denrées que je ne peux pas identifier, d'oignons, de sacs de thé et d'épices, etc. etc.

C'est donc un peu une tranche de vie d'une famille birmane à laquelle j'assiste ce soir.
Et je sais que je n'aurais pas eu la chance de vivre tout cela en dînant au restaurant recommandé par tous les guides...

1 commentaire:

  1. Cela me rappelle nos grandes familles du début du siècle dernier. Le courage de ces mamans : famille nombreuse, travail difficile, sacrifices et pourtant .........Très beau reportage. Bravo!

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