dimanche 28 juillet 2013

En route vers NayPyiDaw, la capitale mystérieuse ...


« Never say die » (Ne dites jamais mourir) et « Be alive tomorrow » (Soyez vivant demain). Je ne sais pas si les slogans des autocollants qui barrent la fenêtre arrière des autocars stationnés à la gare routière sont censés rassurer les voyageurs, si c’est le cas, ils n’ont pas l’effet recherché sur moi. Mon premier réflexe une fois installé sera de repérer l’emplacement des sorties de secours.

J’ai réservé le bus de 13 heures pour NayPyiTaw. « Soyez présents deux heures à l’avance pour le check-in » m’a-t-on enjoint lors de la réservation des billets. Un check-in pour un autocar ? Deux heures à l’avance ? Quand je demande la raison de cette précaution, je reçois une réponse évasive accompagnée de regards fuyants. Je commence à reconnaître ces comportements face à mes questions. Je ne sais pas encore s’il s’agit d’une stratégie d’évitement quand mon interlocuteur ne connaît pas la réponse ou d’une manière diplomatique d’esquiver une situation embarrassante mais j’ai appris à ne pas insister quand mes questions reçoivent ce genre d’accueil.

J’arrive donc bien à l’avance à la gare routière de Yangon, située non loin de l’aéroport. En guise de gare routière, un vaste terrain boueux, entouré sur trois côtés de hangars où s’alignent les bureaux de représentation des différentes compagnies de bus actives ici. Comme partout à Rangoun, tout un petit monde s’affaire, vendeuses de fruits, vendeur de bétel, de billets de loterie, etc.




La flaque rouge près de la porte du car n'est pas du sang. Il s'agit des crachats des mâcheurs de bétel...


J’ai vite fait de repérer le bureau de la compagnie desservant ma destination. Je m’adresse à l’une des cinq hôtesses désœuvrées présentes au guichet en lui montrant mon titre de transport coloré. Elle me fait signe d’attendre sur un des sièges disposés en rangées en face du guichet. Je m’installe donc et commence à observer ce qui m’entoure. Quelques voyageurs seulement partagent cet espace, tous ont les yeux rivés sur une télévision où passe un film d’action américain truffé d’explosions et d’accidents spectaculaires. Pas assez d’animation à mon goût dans cette salle d’attente de fortune et je décide d’aller me dégourdir les jambes.

Dehors, des cars arrivent et déversent leurs passagers engourdis par le long voyage. D’autres cars avalent leurs voyageurs et leurs cargaisons de fruits, caisses et valises avant de partir dans un nuage de fumée âcre. Des taxis patrouillent en tout sens à la recherche d’un client.




Une bonne demi-heure avant l’heure prévue pour le départ, je suis à nouveau installé devant le téléviseur qui braille tout autant que tout à l’heure mais cette fois, pour un public un peu plus fourni et toujours aussi captivé.

Quelques minutes plus tard, le car arrive et se gare le nez en face de la porte du bureau où nous nous trouvons. Une bonne trentaine de personnes en descendent et s’éparpillent alentour. Je m’approche du chauffeur, lui montre mon billet pour m’assurer que c’est bien le bon bus, il me fait signe de monter. J’ai la place numéro 7, au deuxième rang donc.


J'espère que ce n'est pas le moteur du car que je vais prendre
que l'on a sorti là pour le refroidir...



Le bus se remplit rapidement de familles, d’hommes voyageant seuls et de quelques personnes âgées. Un seul moine, accompagné d’un jeune homme, prend place au premier rang. Comme dans les bus locaux, le premier rang est réservé aux moines. A l’instar d’autres passagers, le religieux chique le bétel et utilise régulièrement le sac plastique prévu pour les personnes souffrant du mal du transport (du moins c’est ce que je pensais) pour y cracher d’un long jet bruyant l’eau avec laquelle il vient de se rincer la bouche. Ce son rythmera les cinq heures que durera le voyage.

Toutes les fenêtres du bus sont occultées de tentures fixées à intervalles réguliers par des boutons pressoirs. Je m’empresse d’en défaire quelques-uns afin d’au moins apercevoir le paysage qui défilera au cours des plus ou moins 400 kilomètres qui séparent Yangon de NayPyiDaw. Je m’étonne de constater que je suis le seul à vouloir apercevoir ce qui se passe à l’extérieur du car. Peut-être l’attrait de la télévision que le chauffeur vient d’allumer sera-t-il bien supérieur au décor qui nous attend ? Je viens rapidement à en douter … On nous gratifie en effet de clips vidéos mièvres accompagnant des chansons doucereuses en birman mais parsemées de ‘I love you’ et autres ‘You’re my heart’… Ma connaissance du birman est limitée mais toutes ces chansons ont en commun de sembler n’être composées que d’un refrain répété à l’envi pendant trois minutes tandis qu’à l’écran, un jeune couple habillé à l’occidentale se promène main dans la main sur la plage en se lançant des regards tendres mais prudes contrastant avec le maquillage gagaesque de la jeune dulcinée. Cela serait supportable si le volume n’était poussé au maximum, ce qui ne semble gêner personne que moi dans le car. Je commence déjà à regretter de ne pas avoir emporté de boules quiès. Le pire reste pourtant à venir.

Après une petite frayeur au moment où le bus se met en route avant que la jeune employée ne soit revenue avec mon passeport qu’elle a emporté dix minutes plus tôt (elle le passera finalement au chauffeur par sa fenêtre), nous sortons rapidement de l’enceinte de la gare routière et nous retrouvons sur la route défoncée menant à la seule autoroute du pays.

La musique, qui ne nous avait encore accordé aucun répit, s’interrompt soudain. Tandis que je pousse un soupir de soulagement, apparait à l’écran un couple portant l’uniforme de la compagnie pour annoncer, tout sourire, d’abord en birman puis en anglais, comment se déroulera notre voyage aujourd’hui.

A peine disparus, ils sont remplacés par le générique d’une comédie birmane qui aurait été supportable malgré les réguliers éclats de voix suraigus et cris d’orfraie impromptus si le volume n’avait à nouveau été poussé à son maximum. J’en viens rapidement à me demander si quelqu’un dans le car souhaite vraiment ce supplice et après avoir enduré ce calvaire pendant une heure, j’envisage un moment d’organiser un sondage pour déterminer si la demande générale ne serait pas d’éteindre le téléviseur pour permettre à chacun de lire, dormir ou profiter du paysage à son aise… Je me retiens et essaie de me concentrer sur le spectacle qui se déroule au fil des kilomètres.

Très rapidement après le départ de Yangon, le bus fait son chemin parmi des rizières dans lesquelles s’affairent de rares paysans repiquant les épis de céréale ou travaillant la terre avec leurs buffles.  






Petit à petit cependant le paysage évolue et semble devenir plus sec et graduellement plus vallonné. La végétation s'y fait plus clairsemée, composée principalement de buissons et d’arbres de taille moyenne.
Une constante toutefois, la très faible densité d’habitat entre Rangoun et NayPyiDaw. Si ce n’est quelques huttes faites de chaumes et de bambou tressé, l’autoroute semble en effet traverser une zone pratiquement désertée.



Un arrêt d’une demi-heure est prévu à mi-chemin, dans une sorte d’aire d’autoroute pourvue de divers restaurants autour desquels sont rassemblés les sempiternels stands de vendeurs de fruits et autres snacks. Cette pause est bienvenue pour se dégourdir les jambes et se reposer les oreilles. L’horaire est scrupuleusement respecté et tous les passagers du car font la file à la porte de notre véhicule à l’heure convenue.



A l'entrée d'un des restaurants,
la photo des martyrs dont le
souvenir est célébré aujourd'hui
(voir billet précédent)



























Nous rembarquons rapidement, j’en profite au passage pour prendre une des couvertures mises à disposition des passagers. En effet, si le volume de la télévision semble être coincé sur le niveau maximum, il en est de même pour le bouton de l’air conditionné qui souffle un air glacé depuis notre départ. Même si je me trouve stupide de m’enrouler dans une couverture dans ce pays où la température extérieure descend rarement sous la barre des vingt degrés, je suis rassuré de voir que je ne suis pas le seul à le faire.
Après plus de cinq heures de trajet sur cette autoroute peu encombrée, quelques bâtiments de plusieurs étages apparaissent à l’horizon annonçant que nous approchons de la capitale. Nous quittons l’autoroute et nous engageons sur une route bien plus large, composée de quatre bandes de circulation dans chaque sens marquant notre entrée dans la ville surréaliste où je vais passer les deux prochaines journées.

Quelques kilomètres sur cette route déserte, si ce n’est les rares motos réparties au hasard sur les différentes bandes de circulation, et nous passons à travers la zone des  hôtels où je repère l’établissement où j’ai réservé une chambre pour les trois prochaines nuits. Je profite donc du premier arrêt du car pour descendre avec quelques autres passagers. La majorité des passagers reste dans le car et j’en conclue qu’un ou plusieurs autres arrêts sont prévus dans d’autres quartiers de cette ville étendue.

Me voilà donc avec mon sac de voyage au milieu d’un terrain où sont rassemblés quelques stands de fruits et de snacks. Très vite, plusieurs personnes viennent à ma rencontre pour me proposer leurs services de taxi. Je les suis jusqu’à l’endroit où sont regroupés quelques taxis et une bonne vingtaine de motos. Je donne le nom de l’hôtel où je souhaite me rendre et le prix de 5000 kyats m’est annoncé. Un prix très élevé par rapport aux tarifs en vigueur à Yangon mais j'avais été prévenu. Je n’ai pas le cœur à essayer de négocier, n’ayant aucun point de comparaison, ce dont mon interlocuteur doit être bien conscient. Le trajet vers l’hôtel ne prend que quelques minutes, sur une route déserte.

Le taxi me dépose à la réception de l’hôtel, située dans un bâtiment à l’architecture moderne.


Cinq employés de l’hôtel sont à mon entière disposition pour ce check-in. Je ne remarque en effet que peu d’animation dans l’établissement à part celle que mon arrivée vient de susciter. L’hôtel me fait penser à un club de vacances avec ses bungalows répartis sur un immense terrain aux jardins manucurés dont on me donne le plan avant de me conduire en buggy électrique jusqu’à ma chambre, située dans un des pavillons à proximité du lac artificiel. Le conducteur du buggy me pointe du doigt le bâtiment où je pourrai prendre le petit-déjeuner demain matin et me recommande d’appeler la réception chaque fois que je souhaite quitter l’enceinte de l’hôtel pour qu’un buggy vienne me transporter de ma chambre jusqu’à la réception où viendra me chercher un taxi… Un service auquel je n’aurai jamais recours, au grand étonnement des réceptionnistes.

Après m’être installé et rafraîchi dans ma chambre, je décide, muni de mon plan, de découvrir mon environnement immédiat. Tous les bungalows semblent être vides et de fait, je ne rencontre au cours de ma promenade que quelques jardiniers et femmes de chambre.  Aucun logeur en vue. Cela me sera confirmé le lendemain matin au petit-déjeuner, le buffet n’ayant manifestement été préparé qu’à mon intention…

Cela augurera de mes prochains jours à NayPyiDaw, la ville fantôme…

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire